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Extrait de Vie des Arts, N#192 Automne 2003, pg 84.
 
DANIEL BARKLEY – courants sous-jacents
 
Texte de Dorota Kozinska
Traduction : Christian Bédard
 
Au premier abord, ce qui interpelle les sens lorsqu’on regarde les riches et puissants tableaux de Daniel Barkley, c’est la profusion de chair nue qui s’y enchevêtre aux couleurs et aux mythes. Présentés comme figures allégoriques revêtues de fripes contemporaines, innocents dans leur juste et franche nudité, les personnages de l’univers Barkley nous semblent étrangement familiers. Ils ressemblent peut-être à ces quidams croisés sur le chemin menant à la galerie, ou encore à des visages entrevus dans un film. Ce sentiment de familiarité accroît l’inconfort initial ressenti à la vue de toute cette chair dévêtue, surtout masculine, que nous révèlent les drames picturaux de Barkley.
 
Avant que ne s’élève notre indignation, n’oublions pas que la nudité masculine fut de rigueur* dans maintes époques et cultures. La splendeur du corps humain nous laisse encore pantelants devant les marbres du Bernin et de Michel-Ange, ou encore devant la magnificence des formes humaines, féminines et masculines, qui flottent dans l’azur des voûtes de la Chapelle Sixtine. Bien avant Barkley, des artistes contemporains ont titillé de leurs nus les sensibilités du public : de Francis Bacon et Lucien Freud, avec leurs représentations parfois grotesques de notre fragile nudité, à Robert Maplethorpe, dont la lentille impénitente est allée bien au-delà des frontières explorées jusqu’alors.
 
Cela choque ? Peut-être. Est-ce de l’Art ? Absolument !
 
Bien que la nudité en perturbe encore plusieurs, on ne saurait l’être devant les œuvres de Daniel Barkley. Loin d’être offensante, la nudité est intrinsèque à son imagerie de même qu’aux multiples et subtils courants qui traversent son œuvre. Puisant dans quelque savoir occulte, ésotérique, comme en un amalgame de littérature, de théâtre et de mythe, Barkley compose de larges tableaux dans lesquels luttent contre une puissance invisible des personnages souvent contorsionnés, liés ou masqués. Leur nudité symbolise plusieurs choses, de la vulnérabilité humaine à la divinité, de la force vitale à la déchéance mortelle. Les interprétations possibles sont nombreuses et chaque personnage de cet écheveau humain semble porteur d’une histoire qui lui est propre, à la fois seul devant son destin, solidaire de ses compagnons, mais séparé et solitaire. Plusieurs de ces personnages sont décorés, ou peut-être marqués, de symboles énigmatiques, certains reconnaissables d’autres non. Ces signes entrouvrent le voile dissimulant une autre dimension à décrypter, nous jettent dans une confusion croissante, nous emprisonnent dans un labyrinthe mythique. Sans fil d’Ariane pour nous y guider, nous voilà introduits dans un royaume merveilleux et mystérieux.
 
Une fois absorbée la narration que nous révèlent les tableaux de Barkley, on peut alors goûter le plaisir de savourer la maîtrise technique de son coup de pinceau. Patiemment affûté dans l’exiguïté d’un petit atelier, son talent témoigne de nombreuses années de pratique. La jeunesse de Barkley ne fait qu’ajouter au calibre de ce talent. Lorsqu’on aborde une matière aussi prégnante et complexe que le corps humain, la moindre erreur technique peut prendre des proportions gargantuesques. Plus grand le format, plus profond le précipice. Téméraire et sûr de lui, Barkley chemine dans ce terrain miné et en émerge intact. Tout en demeurant picturaux, ses corps sont réalistes, imparfaits tout en demeurant esthétiques, exposés mais vulnérables, jamais vulgaires.
 
La couleur et la texture, perdues dans la force visuelle de la narration, sont peut-être les héroïnes oubliées de cette épopée picturale. Le pinceau de Barkley, comme une baguette magique, conjure la pierre et l’eau, la chaleur et la bise, la peau et le plastique. Cette dernière combinaison où se juxtaposent la douceur et la chaleur de la peau humaine avec le froissement glacé du plastique transparent fait l’objet d’une série de tableaux récents inspirés par un voyage aux chutes du Niagara. Son regard y fut séduit par les manteaux de plastique bleu transparent des touristes qui affrontaient les rapides en bateau. Fort de cette image, il a créé plusieurs tableaux où s’allient la blancheur laiteuse du corps d’un jeune homme et le froid glacial du plastique bleu qui l’enveloppe. Il y a quelque chose de magique dans cet alliage, la peau visible grâce à la transparence du plastique semble se rétracter à son contact, alors que l’expression du modèle demeure stoïque, suspendue dans cet instant qui précède le frisson.
 
Et c’est nous qui frissonnons pour lui.
 
* Ndt. : En français dans le texte
 
Dorota Kozinska est écrivaine et critique d’art. Ses nombreux articles et critiques d’art ont été publiés dans Vie des Arts, Parcours, informateur des arts, MagazinArt, Art Forum, et The Gazette, de même que diffusés mondialement à la radio de Radio-Canada. Elle est l’auteure de Emily Carr: Speaking with Nature (Galerie Walter Klinkhoff, Montréal 2002), David B. Milne: A Quiet Genius, (Galerie Walter Klinkhoff, Montréal 2001), et Dina Podolsky : Seeing Memory (Opera Gallery, New York 2003.
 
Christian Bédard est écrivain et représentant d’artiste.
 
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